Malgré son fort potentiel économique dans le secteur du textile, avec l’un des plus importants réseaux de pays producteurs de coton, l’Afrique est, depuis plusieurs décennies, en proie à une forte consommation de tissus et de vêtements étrangers. Les tentatives de transformation à une échelle industrielle échouent devant la farouche concurrence asiatique et le coût très élevé de l’énergie. Délaissés, les petits producteurs ferment boutique progressivement, emportant avec eux, les secrets de leur savoir-faire, ainsi que les chances de survivance, de développement et de commercialisation des tissus traditionnels. Selon un rapport de l’ONU, de nouvelles règles commerciales ont été négociées à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2005. Les mesures mises en place stipulent la suppression des quotas que les pays développés devaient autrefois respecter, afin de maintenir un échange équitable sur le marché mondial du textile entre les puissances économiques et les pays en développement. Les anciennes règles avaient permis aux producteurs africains, pendant 30 ans environ, de profiter du commerce du textile et de la confection de vêtements sur le marché mondial. Toutefois, depuis l’implémentation des nouveaux accords commerciaux, les petits et moyens producteurs africains sont devenus impuissants devant les grandes machines industrielles,
comme la Chine (grand exportateur de textiles) et l’UE (grand fournisseur de friperies).
La Chine s’est très particulièrement et très rapidement positionnée pour élargir sa part du marché africain, en profitant de la disparition des plafonds d’exportations. Ses écoulements massifs de textiles dans les pays de l’Afrique occidentale et de l’Afrique australe, ont eu des conséquences désastreuses sur la santé financière et économique du secteur textiles de ces régions.
Entre 2003 et 2005, par exemple, en Afrique du sud, 55.000 emplois ont été supprimés, 10 usines de fabrication de vêtements ont fermé au Swaziland avec un licenciement économique de plus de 12.000 personnes, sans compter 13.000 autres dans la même industrie au Lesotho.1 Selon les chiffres de la
, jusqu’en 2006, y compris au Nigéria, au Ghana, en Zambie, au Malawi, au Kenya, à Madagascar entre autres, ce sont plus de 250.000 emplois
qui ont été supprimés.
En plus d’être dans l’incapacité de freiner l’inondation de leurs marchés de tissus par les grandes entreprises industrielles, les pays africains semblent céder progressivement, aux sociétés et groupes étrangers, le
contrôle de la transformation du coton sur leurs propres territoires.
Depuis quelques années, des entreprises chinoises cherchent à s’implanter directement en Afrique à tout prix, afin d’élargir davantage leur part de l’industrie textile à fort potentiel lucratif du continent. En 2009, sur les quatre usines de textiles en activité au Ghana, deux appartenaient à des investisseurs chinois. Au Bénin, également, sur les trois usines de textile qui fonctionnaient, deux étaient la propriété de groupes chinois.2
Par ailleurs, en Afrique, l’industrie de la mode semble être une affaire étrangère pour les populations qui préfèrent malheureusement faire confiance aux tendances extérieures qu’aux stylistes locaux.
« […] Croire que l’industrie de la mode, ce sont les autres, c’est faux. L’Afrique peut habiller l’Afrique. […] Pour passer de la mode à une vraie industrie, il faut développer la formation, les infrastructures et l’accès aux ressources financières. », estime le
styliste-modéliste Pathé’O. En effet, en suivant et en adoptant en grande partie les tendances de la mode étrangère, et ce aux dépens de l’industrie locale, les Africains cèdent une majeure partie de leur marché du textile-habillement aux entreprises
chinoises et européennes. D’après la BAD en 2017, en Afrique subsaharienne, cette industrie aurait un potentiel de plus de 31 milliards de dollars. Or, dans le secteur de la mode, une industrie qui vaut presque 1,3 milliards de dollars, l’Afrique toute entière ne jouirait que d’une part représentant 15,5 millions. Cette disproportion est due à deux choses : d’une part, lorsqu’il s’agit de la mode, les Africains ont souvent tendance à consommer chez les fabricants étrangers ; et de l’autre, les pays africains producteurs de coton estiment que l’Afrique n’a pas besoin de cette matière première.
Des « Nanas Benz » aux « Nanettes » princesse du « pagne africain » de Lomé, des petites ruelles étroites des marchés africains aux grandes avenues de la mode à Paris, Milan et ailleurs, le wax a conquis des générations entières, au point de devenir la marque de textile par excellence que le continent africain évoque et revendique dans la conscience collective internationale. Pourtant, le wax n’est pas africain. Vlisco, une entreprise néerlandaise vielle de 170 ans environ, a longtemps détenu le monopole de la production de ce tissu graphique et coloré. Chaque année, et selon les chiffres de 2014, cette entreprise batave écoule 90% de sa production de 64 millions de mètres
sur les marchés de l’Afrique noire, pour un chiffre d’affaires de plus de 300 millions d’euros.
Cependant, le continent africain compte plusieurs pays parmi les plus grands producteurs de la filière cotonnière du monde. Au cours de l’exercice de production 2016-2017, par exemple, le Burkina Faso et le Mali ont eu des rendements exceptionnels. Le premier a produit plus de 750 000 tonnes de coton-graine, une hausse de plus de 25% par rapport aux années précédentes. Le second a enregistré une progression plus impressionnante : plus de 26% de hausse pour un record de 645 000 tonnes de coton.3 L’année suivante, en 2018, le Mali a dépassé les prouesses du Burkina Faso pour se hisser à la place du premier producteur du continent avec une culture étendue sur plus de 650 000 hectares. Le Mali a ensuite été détrôné à son tour, en 2019, par le Bénin, « nouveau champion du coton africain ».4
La filière cotonnière est sans doute une industrie en plein essor dans la zone UEMOA, où la production régionale a atteint plus de 2 400 000 tonnes en 2018. Nonobstant cet engouement pour la production, les pays de la région peinent vraiment à développer l’industrie de la transformation. Une machinerie archaïque, la faible disponibilité et le coût très élevé de l’énergie, la farouche concurrence des
usines chinoises, constituent un frein majeur aux efforts de développement du secteur de la transformation du coton. Le ministre malien du développement industriel, Mohamed Ali Ag Ibrahim, dont le pays exporte plus 98% de son coton, a regretté en 20175 : « Si nous parvenons à transformer 20% de notre coton, nous serons un pays développé. » Selon un rapport de la BAD (Banque Africaine de Développement) : « pour développer son marché du textile, l’Afrique a besoin de son coton. » Quand bien même la transformation industrielle se heurte à des complications qui ne sont pas totalement maîtrisables actuellement, les industries locales, auxquelles participent les stylistes et les tisserands, ne bénéficient pas, de la part des consommateurs et des investisseurs, du soutien nécessaire pouvant propulser le commerce du textile et de l’habillement africain vers le sommet de son potentiel économique.
Pour renverser la tendance, un passage par les industries locales est obligé pour les pays africains. La population locale doit également faire confiance à l’attractivité esthétique et commerciale, ainsi qu’au pouvoir économique des tissus traditionnels sur les scènes de la mode internationale.
C’est du moins, ce qu’a réussi à faire le styliste camerounais, Imane Ayissi, premier styliste-créateur de mode issu de l’Afrique subsaharienne à être invité à la Fashion Week de Paris. Convaincu que l’Afrique a « mieux à montrer que le wax colonial », il exhorte les Africains à penser la mode comme une plateforme commerciale à fort capital économique et culturel. Si le raphia malgache, l’écorce battue de l’obom, le Kente ghanéen, entre autres, ont porté Ayissi sur les plus grands podiums de la Haute couture, le Bogolan malien, le Ndop camerounais, le Khorogo ivoirien, ont également les qualités pour éblouir les plus grandes avenues de la mode. L’on ne doit plus douter de la richesse culturelle et textile de l’Afrique toute entière. Et c’est justement à ce titre que cette dernière a davantage à proposer dans le monde de l’étoffe, au-delà d’être un simple fournisseur de matières premières.
Toutefois, au lieu de chercher à concurrencer les grandes enseignes de l’exportation du textile et de l’habillement, l’Afrique pourrait certainement redistribuer les cartes dans l’industrie de la mode, si elle se consacrait à faire valoir sa richesse textile par le biais de ses tissus à bases de matières nobles diversifiées. La clé ne serait donc pas la production massive, mais plutôt la constitution d’un marché de niche. À travers le continent, on retrouve des petits tisserands qui font le travail de la transformation du coton à une faible échelle, certes, mais avec un savoir- faire capable d’hisser d’autres tissus africains au sommet des plus prestigieuses plateformes de la mode de luxe. La culture du coton étant déjà le deuxième secteur le plus important en termes d’emplois en Afrique subsaharienne, un investissement dans les PME de transformation, et celles de confection de vêtements, peut permettre de créer une continuité avec le secteur cotonnier local. De ce fait, le développement et la mise en place d’une chaîne de production pouvant générer d’autres emplois contribuerait énormément à la réalisation du vrai potentiel de l’industrie du textile- habillement en Afrique.